Il y a déjà quelques mois, nous rencontrions Romain Delahaye, alias Molécule, chez Lo/A, où il présentait son dernier projet : 60° 43′ Nord. Il nous reçoit aujourd’hui dans sa propre bulle, son studio parisien, pour parler musique et technologie, rêve et avenir.

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M.P. : Molécule… D’où vient ce nom? 
Molécule : Le nom Molécule vient de l’idée d’avoir un nom basique, qui exprime l’essence des choses, le minimalisme. J’aimais bien son aspect phonétique, assez rond, assez doux, qui correspondait bien avec la musique plutôt calme avec laquelle j’ai commencé.

Faut-il y voir une influence scientifique ?
Il y avait aussi le coté recherche, expérimentation, labo, studio… Mais j’étais pourtant un très mauvais élève en Chimie !

Quel est ton rapport aux nouvelles technologies ?
Je suis indirectement confronté aux nouvelles technologies, notamment par l’évolution du matériel de production musicale. J’ai commencé au début de la MAO. Quand j’ai pris conscience qu’on pouvait se créer son propre studio, créer des disques de manière autonome, sans avoir besoin de grosses machines ou de grosses maisons de disque, j’ai arrêté mes études de Sociologie pour me consacrer complètement à la musique. Je ne suis pas forcément à la pointe de la technologie. Je les utilise, je les détourne surtout, j’aime provoquer des erreurs, ne pas tout maîtriser. L’erreur est souvent source de créativité et les contraintes sont très productives. Il faut une certaine confiance en soi pour admettre ça, mais j’aime flirter avec des univers inconnus. Par contre, l’innovation n’est pas du tout dans mon objectif. Je suis dans le “faire”, très concret et dans le plaisir. Je fais de la musique par choix de vie, c’est pour moi le meilleur moyen de vivre ma vie, faire des voyages, des rencontres. C’est aussi un moyen de se mettre un peu en marge de la société.

molec3Nous t’avions découvert chez LO/A, lors de l’exposition de ton projet 60°43’ NORD, qui a depuis été relayé en long et en large, entre Thalassa, Radio France… Peux-tu nous le rappeler brièvement ?
Quand j’ai commencé la musique, j’avais ce rêve d’aller un jour sur un bateau avec mes machines et de composer un album en mer, dès le début des années 2000. J’ai sorti des albums jusqu’à me dire qu’il était temps de réaliser ce rêve. C’est un projet très personnel. Je suis parti un peu seul à la recherche de partenaires pour mettre tout ça en place. J’ai rencontré une boite de prod vidéo, car je voulais y aller avec un cameraman pour lier l’image à tout ça. J’ai rencontré l’équipe de Belafilms et le meilleur moyen que l’on ait trouvé pour financer tout ça était de vendre un reportage à Thalassa, ce qui a permis à l’équipe technique de venir. On a embarqué à trois, un cameraman, un ingé-son/télé et moi. En amont, j’ai fait un espèce de casting de bateau, pour en trouver un qui pouvait m’emmener suffisamment longtemps en pleine mer pour avoir le temps de composer un album complet sur l’eau. Je n’ai retouché aucune note une fois à terre, tout a été fait in situ. Il me fallait aussi un bateau qui pouvait m’emmener dans des zones assez dangereuses pour rencontrer la tempête. J’avais le doux rêve de mettre en musique la tempête. Je suis tombé sur ce bateau basé à St Malo. Il s’est passé un an avant que l’on embarque sur le Jospeh Roty II, pendant 5 semaines.

Pourrais-tu le refaire dans un autre type d’environnement ?
J’ai en effet envie de reproduire ce genre d’expérience, de mêler création in situ et expérience de vie. J’ai le sentiment d’avoir trouvé quelque chose qui me correspond et m’excite énormément, un bon équilibre avec le travail solitaire de studio. J’ai des idées, je suis en mode « brain-storming » pour lancer une nouvelle aventure. Pourquoi pas dans les airs…

A l’écoute de l’album, on ressent de l’angoisse, une présence assez lourde et à la fois très légère, des émotions très diverses. Est-ce à l’image de ton expérience ?
L’idée de cet album dans sa genèse était de composer, de produire des tracks au plus proche des émotions que je vivais sur le bateau. Tout comme l’histoire de ce bateau, qui est forte, je me suis autorisé à avoir des pages très calmes et apaisantes et des choses bien plus anxiogènes, plus dures, plus violentes même. L’idée de cet album au final était de raconter cette histoire, faite de haut et de bas, des montagnes russe en terme d’émotion. C’était une vraie découverte, avec des conditions de travail difficiles. Sans mauvais jeu de mot, c’est un album qui “navigue” dans tout ce panel d’émotions rencontrées, auxquelles je ne m’attendais pas.

Nous avons pu assister à  » Séquences  » il y a de ça 3 mois à la Maison de la Radio, qui portait sur le son binaural. Il nous semble que tu as pu utiliser cette technique de spatialisation du son dans ton projet ?
BelaFilms m’avait proposer d’enregistrer ma voix chaque jour, comme un journal de bord, un format radiophonique. De retour de ce périple on a contacté Radio France, (NouvOson > EXPERIENCE BINAURAL). Comme on avait plein d’images, ils nous ont proposé de réaliser un projet de documentaire en son binaural. Le son binaural c’est tout simplement du 5.1, c’est à dire 5 points d’écoute,e l’on se met au milieu. Le 5.1 permet d’avoir cette spatialisation au travers d’un casque audio. On a tout de suite dit oui, c’était complètement en accord avec le projet et nous permettait d’aller vers l’immersion totale. C’est Radio France qui s’est occupé de mixer le projet, et un algorithme transforme le signal des 5 canaux en un canal stéréo et binaural.

Nous avons particulièrement apprécié le clip Molécule Rockall. Peux-tu nous en parler ?
Le son a été réalisé par Gautier H et l’image est issue du cameraman qui avait embarqué avec moi. Gautier a collaboré sur le live de la Gaîté Lyrique, et on travaille actuellement sur la tournée 2016, qui s’annonce plutôt bien. C’est devenu un collaborateur important du projet.

Nous avons justement pu assister à ton live 360°, lors de la Nuit blanche et de l’événement I Love Transmedia, à  la Gaîté lyrique. Comment as-tu abordé l’idée d’un live et le rapport entre image et son et la dimension à 360° ?
L’idée était de fonctionner par tableau. Chaque morceau exprimant une vision, un contexte, du périple. Tout les images sont issues de mon voyage. On a pris le parti de ne montrer aucun marin ni poisson, mais de jouer sur les contrastes, les parallèles : le dehors et le dedans, l’industriel et la nature… On a aussi voulu jouer sur le mouvement de la houle, de la tempête. Les tableaux ont été créés avec la volonté d’immerger le public, qui se retrouve tour à tour au beau milieu des oiseaux, puis marchant sur l’eau… Je voulais revivre et partager ces moments extrêmes et variés, où on est paradoxalement enfermé, confiné, mais en pleine nature, dont l’horizon est infini.

Tu vas participer aux Transmusicales de Rennes, le 5 décembre prochain. Peux-tu nous parler de ce que tu vas faire ?
Ce sera la première date de la tournée, avec une création scénographique alliant la vidéo, la lumière et une structure avec les machines. Je vais défendre cet album sur scène, avec de la vidéo issue de la créa faite pour la Gaîté Lyrique, mais repensée pour l’endroit : on ne sera que sur du frontal.

Peux-tu nous parler de Mille feuilles, ton label ?
Mille feuilles est un label que j’ai créé il y a deux an avec un pote. Une boîte familiale, à la cool. On sort pas mal de chose : 33 release en 2 ans. Le dernier est Automat, qui fait de l’électro analogique. On a aussi des projets d’ici fin octobre et Novembre avec notamment Mike Theis et l’album d’Andrew Claristige, l’un des deux gars d’Acid Washed.

Tu as fait un peu de route depuis LO/A où nous t’avions découvert. Quelle est la suite de l’histoire ?
La finalité du projet c’est le livre et l’album, co-édité par Classic et Mille feuilles. On pense aussi à la sortie vinyle (Ed Banger Records, ndlr) et peut-être un disque traditionnel, pour accompagner la tournée. Puis comme je l’ai dit, pourquoi pas les airs…

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